EDITO

Un commentateur m’a rappelé à l’ordre et au savoir-vivre : à travers ce qu’il a lu, impossible, dit-il, de discerner qui je suis. Je m’étais persuadé que cela n’avait aucune importance et que, seule, comptait la teneur des échanges que j’essayais de proposer sur divers thèmes d’équitation. J’accepte le blâme et fais amende honorable.

Né aux confins de la Gaule tout au début de la dernière invasion barbare, j’ai pu monter à cheval, pour la toute première fois, peu après que les goths aient mis fin à la réquisition générale des cheptels équins qu’ils avaient décrétée sur fond de bruit de bottes alors qu’ils chantaient encore leur victoire pour les prochaines mille années. Dans ma famille, personne n’avait cru à cette fanfaronnade, mais nous avons tous subi la trop dure loi des ténèbres nationales et socialistes à la fois.

J'ai récemment fêté mes 64 années d’équitation en offrant à mon cheval une ration supplémentaire de bon grain et en lui demandant de me promener quelques heures dans les bois d’alentour, ce qu’il a fait avec l’art et la manière qui siéent aux âmes généreuses, livrant toutes ces belles allures naturelles qui lui sont innées pendant que je profitais goulûment de sa bonne humeur.

Je suis donc un simple cavalier ordinaire, un peu toqué, un peu esthète, plus exigeant pour moi-même que pour les autres. J’aime la belle équitation, lorsque le cheval est libre de nous montrer sa perfection. Je déteste l’à-peu-près, le faux semblant et le snobisme. Je dois probablement à cette disposition d’esprit d’avoir pu conserver la jeunesse de pensée de ceux qui considèrent que l’horizon des objectifs est bien plus loin que nos yeux le perçoivent : il est juste à côté de l’humilité.

Ce qui rend l’art équestre difficile entre tous, c’est que, plus on avance, mieux on devine qu’on n’ira jamais au bout du rêve. Alors, on en vient à imaginer que l’on pourrait servir encore à transmettre aux générations qui viennent tout l’enthousiasme qu’on a accumulé. Une école d’équitation est un vecteur possible ; j’ai choisi celui-là ; j’aurais pu en choisir un autre ; le support est secondaire ; l’essentiel est d’essayer de faire.

L’école est le lieu d’acquisition du savoir. J’espère que celle que j’ai l’honneur de diriger, au-delà du savoir équestre, apporte à ses élèves le savoir-vivre auquel j’ai cruellement manqué en omettant de me présenter à vous autrement que sous le manteau de l’anonymat. Mais, promis, je vous en dirai davantage à la première occasion.

********************************************************

23 octobre 2007

Je m’étais fixé comme objectif de démarrer cet espace d’échange sur les thèmes de l’équitation (d’hier et d’aujourd’hui) à la rentrée de septembre 2007. Je tiens l’engagement que j’avais pris auprès d’un groupe d’amis qui pensaient, bien plus que moi-même, que mes réflexions de cavalier pouvaient présenter quelque intérêt pour un cercle de passionnés.

Je me lance donc, comme l’on jetterait un dé sur la table de jeu : sans a priori sur le résultat et sans illusion sur la portée de mes écrits.

D’avance, merci à ceux qui prendront la peine de me lire et de me critiquer. La contradiction, dans la matière qui nous préoccupe, est source de progrès et inspiratrice de recherches nouvelles.

Jamais rien n’est acquis en équitation. Le pratiquant évolue en permanence, au fil des expériences qu’il lui est donné de vivre. Chaque cheval est tellement différent de tous les autres ! Et le cavalier d’aujourd’hui, sans avoir honte de celui qu’il était hier, ne ressemblera jamais à celui qu’il ambitionne de devenir demain…

Je me propose de commencer à nourrir la discussion en postant, chaque mois, un nouvel extrait d’un ensemble inédit intitulé :

DIALOGUES AVEC UN CHEVAL BIEN ÉDUQUÉ


*


I.- OBSESSIONS & COMPULSIONS D’UN CAVALIER ORDINAIRE


Les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) font partie des pathologies de l’anxiété. Les personnes qui en sont victimes sont confrontées à des pensées préoccupantes, qui reviennent sans cesse, telles des obsessions. Pour les chasser ou les empêcher de survenir, ces personnes sont contraintes de se livrer à des rituels particuliers qu’on appelle compulsions.

Mon moi cavalier est empli d’obsessions.

Mais je combats mes anxiétés en prenant l’attache et le conseil de mon cheval. Je fais de la sorte l’économie d’un psychothérapeute et me prive de toute chimie pour surmonter ma pathologie. Les benzodiazépines m’incommodent le métabolisme ; les psychiatres me rendent foldingue…

J’ai observé que mon cheval souffrait de maux similaires : il a l’obsession de son confort. C’est toutefois le seul TOC qu’il m’a été donné de diagnostiquer chez lui. C’est un être simple, convivial et débarrassé de toute entrave métaphysique. Il déteste que je lui complique l’existence. Ses bonheurs sont faits de la soumission complice aux aides que je lui propose et du foin dont il dispose.

Certes, il reste critique ; attentif à mes erreurs et, parfois, rebelle à mes récidives. Mais ses désaccords sont constructifs : il m’améliore et je lui en sais gré. Il surveille mes avancées, m’encourage toujours, même s’il me blâme souvent. Que voulez-vous ? je ne suis qu’un modeste cavalier amateur. Il le sait et me pardonne mes fautes lorsque je bats ma coulpe à haute et (par lui seul) intelligible voix. C’est un cheval de qualité. Il est courtois et miséricordieux comme le sont les vrais maîtres.

MON OBSESSION DE L’ASSIETTE JUSTE

Me hisser péniblement sur lui et me laisser choir lourdement sur le troussequin serait offensant pour mon cheval et douloureux pour son dos. Il finirait par avoir l’agacement du montoir chevillé à la mémoire. J’essaie donc d’avoir l’enfourchement élégant et de me poser avec douceur au fond de ma selle. Je m’assois dans la partie la plus creuse de celle-ci, fuyant l’arrière plus que l’avant, mais étalant généreusement mon assiette tout autour du siège et des quartiers. Oui, l’assiette, c’est aussi l’intérieur des cuisses, solidaire des fesses. C’est un maximum de points de contact que je recherche en me posant sur les axes ischiaques et en enveloppant, avec le plat de mes cuisses, jusqu’aux creux poplités, autant que faire se peut sans contractions ni force. Je pose le bas de mon corps de bipède autour de mon quadrupède de cheval. Cela ressemble d’abord au mariage de la carpe et du lapin ; mais l’accommodation vient au fil des ans. L’harmonie est tant dans l’intimité que dans la constance de cette liaison. Elle conditionne la mobilité de mon bassin, le jeu de mes hanches et, en définitive, mon aptitude à me lier au mouvement de mon cheval.

Jamais, je ne serre les genoux. Leurs articulations restent libres, exploitables à souhait. Rarement, elles viennent à se ployer ; et si d’aventure elles y viennent, c’est pour faciliter l’amortissement de ma projection verticale en association avec celles de mes chevilles, à l’occasion d’un trot enlevé, d’une suspension sur les talons ou de l’abord d’un obstacle.

Mes jambes descendent le long des flancs du cheval, juste derrière la sangle de la selle. La verticalité de leur trajectoire est dictée par celle de mes cuisses. De la hanche au pied, la jambe est orientée vers le bas, en tombant naturellement, mais sans pesanteur exercée, sur le plancher de l’étrier. Les étrivières ont été préalablement réglées en fonction de cette descente des jambes qui m’est propre ; à défaut je les rajuste.

L’étrier repose mon pied ; il n’en reçoit que le tiers avant, levé au-dessus de la ligne des talons et calé contre sa branche interne. En aucun cas, l’étrier ne sert d’appui. Ce dernier se prend plus haut, sur la face interne (et non arrière) du mollet, en dessous du diamètre du cheval, la pointe du pied restant parallèle au flanc de l’animal sauf pour le court instant du recours éventuel au talon ou à l’éperon.

Ayant ainsi mis de l’ordre dans le bas de mon corps, j’entreprends d’optimiser position et utilisation de mon tronc et de ma tête. Le dos droit, sans rigidité ni cambrure, je laisse mes épaules s’effacer vers l’arrière, sans exagération, juste assez pour dégager mon thorax et l’ouvrir à une respiration régulière et profonde. Mes coudes se ploient alors, laissant les bras couler le long de mon corps, les avant-bras prendre l’angle de la bouche du cheval, mes poignets s’arrondir vers des mains souples et fermes à la fois. Ma tête reste droite sur mes épaules, le regard loin devant, attentif et anticipateur de tout.

Cette position, prise seulement dans son acception triviale, ne me vaut rien que de négatif au regard de mon cheval. Celui-ci me demande de la lier à son mouvement, d’abandonner tout statisme, et d’accompagner sa déambulation sans le contrarier dans sa gestuelle naturelle. Mes jambes fixées, le haut de mon corps, placé harmonieusement, s’articule autour de mon rein et de ma ceinture abdominale, deux régions dont l’activité, la mobilité et la souplesse sont garantes de l’efficacité de mon assiette et de la justesse d’application de mes aides. Lorsque tu marches, me dit mon cheval, tu ne peux te lier aux mouvements de mon corps que dans le mouvement de ton propre corps, jusqu’à ce que nous ne fassions plus qu’un, toi la tête et moi les jambes. J’ai testé son assertion et n’y trouve rien à redire. De quelque sujet que nous discutions, c’est toujours lui qui a raison.

Comme le jour où il m’a appris, lors d’une longue marche au pas, à accompagner de mes mains le doux balancement de son encolure : avance-les lorsque ma tête descend et ne les retire jamais ; envoie ton rein à leur rencontre, ça te fera les abdominaux. Je n’entrevoyais pas vraiment ce qu’il attendait de moi. J’ai dû réfléchir longtemps pour saisir le bon sens équin de son propos ; prends et garde le contact de mon mors et laisse ma mâchoire tranquille : l’appui, c’est mon problème ; je le prendrai quand j’aurai vraiment confiance en toi ! Alors seulement, tu auras compris l’ondulation reptatoire de mon rachis ; ta main sera légère, nous serons en harmonie… et notre couple pourra conquérir équilibre et brillance. Je ne suis pas maso ; seul, ton tact te vaudra que j’abandonne ma tête à tes mains.

Du coup, pour ne pas le vexer davantage, j’ai décidé de me faire des mains dignes de sa tête, capables, dans une fixité relative, l’une souvent indépendamment de l’autre, de chalouper à son rythme et de tanguer selon la musique de son corps. Je n’ai qu’un regret, c’est d’avoir mis si longtemps à décrypter son code.

C’est depuis ce temps-là que j’ai acquis la lancinante obsession de l’assiette juste.

Là encore, c’est lui qui m’a tout révélé. Dans notre ménage, c’est moi qui fournit la plus grande part de travail m’a-t-il tancé ; tu n’es pas seulement lourd, mec, t’es balourd aussi ! si tu veux que nous soyons légers tous deux, facilite-moi un peu la tâche : au lieu de laisser traîner tes fesses, sers-t’en pour me pousser en avant et apprends-leur à m’indiquer la direction que je dois prendre ; assieds-toi profondément, en te liant à moi une fois pour toutes, et ne freine rien de mon impulsion, en ligne droite comme sur le cercle. Glisse ton assiette en avant en l’accentuant légèrement du coté où tu veux me diriger, regarde dans cette direction avec tout le haut de ton corps, de la ceinture à la tête, pousse ton rein, active ta jambe intérieure à la sangle, recule un peu ta jambe extérieure pour me tenir les hanches et voilà : tu vois comme c’est facile et satisfaisant de nager dans le bonheur à deux ! Et moi, je n’ai plus cette impression pénible et dégradante de porter un sac de patates !

Je rêvais et l’entendais ricaner, hilare : « laisse-moi ma tête et donne-moi ton cul » ou quelque chose d’approchant. Je découvrais subitement la compulsion à l’une de mes obsessions.

Je vis alors mon cheval, libre d’aller au gré de mes fesses, de relever ses allures, de régler sa cadence, de mobiliser ses hanches, de se rassembler en boule et de gicler droit devant lui. Et j’étais de la fête, car nous formons depuis lors un couple insécable.

C’était pourtant simple : pour apprendre, il avait suffi de l’écouter ; pour l’entendre, il avait suffi de lui faire confiance ; pour me convaincre, il avait suffi de le respecter.

J’en avais fait, illico, mon conseiller en éthologie. Il prétendait qu’il avait appris ça de ses aïeux qui l’avaient eux-mêmes recueilli auprès de leurs ancêtres, etc… !

Tout cela s’est passé il y a bien longtemps.

Pour autant, à l’heure où j’écris, je ne suis pas guéri de mon TOC. Je le cultive un peu, voire beaucoup, il est vrai ; mais dans la totale sérénité, n’en déplaise aux esprits chagrins et aux porteurs de grands chapeaux.

Vous me croirez peut-être — ou non, et je m’en bats l’œil — mon cheval était exceptionnel : il avait horreur des saltimbanques en général, des texans en particulier et, fait troublant, il murmurait à l’oreille de l’homme !

Mais hélas ! c’est pourtant bien connu : dans la gent humaine, il n’y a pire sourd que celui qui ne veuille entendre…

5 commentaires:

Frédéric a dit…

Bonjour et merci pour votre texte dont je partage chaque mot, chaque phrase, chaque ligne. Je suis moi même très bien soigné par deux de mes chevaux. l'un est un criollo argentin élévé et dressé (brutalement) en Argentine et qui est mon compagnon de voyage et derandonnée. L'autre est un cheval barbe, très jeune, entier, et avec lequel je tente d'atteindre la perfection en matière de dressage librement consenti (par le cheval s'entend). Souffrant d'un cancer tueur je dois dire que toutes les améliorations que je ressens viennent pour moitié du médicament expériemental que j'ingère depuis deux ans et pour moitié par le plaisir que m'offrent ces deux chevaux. Je travaille aussi la théorie du cheval "pieds nus" et je suis à l'affut de tout ce qui peut encourager ou contrarier cette expérience. Avez-vous essayé? Souhaitez-vous en parler dans votre blog? Je joins à tout hasard le lien vers le site de l'association que je préside et vous prie de trouver en moi un lecteur reconnaissant. Frédéric Secretan. http://adivac.googlepages.com

equiblog a dit…

Merci, Frédéric, pour ce premier commentaire.

J’ai moi-même acquis 6 criollos, au printemps dernier, pour nos activités de pleine nature. Je ne suis pas déçu. Ce sont des animaux costauds et rustiques, sur lesquels, toutefois, tout reste à faire. Notamment, convient-il d’adoucir la mémoire qu’ils ont pu stocker sur les cruautés passées dont ils ont probablement été victimes. On y arrive à force de tendresse. Le cheval rend toujours, prime en sus, ce qu’on lui donne…

Vous évoquez le travail à « pieds nus ». Certains de mes chevaux de carrière travaillent pieds nus toute l’année. Tous ne peuvent pas être soumis au même régime : tenir compte de la nature du pied, de sa conformation ; mais aussi de la nature des sols. Notamment, suis-je sceptique sur la méthode lorsqu’elle est appliquée aux chevaux de randonnée, du moins sur les sols de Provence. Si le travail essentiel de la fourchette pouvait se faire normalement sur un terrain caillouteux, nul doute que le fer serait mal venu. Mais tel ne me semble pas être le cas. Je suis donc d’avis de rester très prudent en la matière et d’observer chaque cas particulier…

shiatsu a dit…

Je suis une élève de Christelle Pernot et LIz Eddy en Shiatsu pour chevaux. JE possède une selle français. Dans les commentaires je lie que certains de vos chevaux sont pieds nues. Le mien est aussi. J'ai des horse boots au cas où j'aurais besoin temporairement de protéger ses pieds sur le bitume. Je voudrais me former à la methode Strasser pour entretenir un peu moi même les pieds de mes chevaux. En espérant que l'on poura converser.

equiblog a dit…

Parenthèse (par rapport au thème du blog) sur l’hipposandale.

L’hipposandale (ou « horse boot »), bien connue des cavaliers antiques et abandonnée aussitôt que la technique du ferrage des pieds fut acquise, est une protection de pied qui redevient tendance dans le cadre des expériences de délaissement de la ferrure au profit d’un parage dit du « wild horse trim ».

Je reste prudent quant à la méthode et, pour tout dire, quelque peu sceptique quant aux résultats à terme. Mais j’observe avec intérêt ce qui se fait dans ce domaine.

Je note toutefois qu’il y a une certaine contradiction entre l’affirmation que le cheval peut évoluer en tout terrain grâce à une préparation adéquate de ses pieds (parage « naturel ») et entre la nécessité ressentie par les adeptes de cette méthode d’acquérir des hipposandales… à toutes fins utiles.

Je ne sais pas encore ce qu’en pense mon cheval, mais, promis, je lui demanderai son avis !

Lorsque nous partons en randonnée, nous avons toujours une paire d’hipposandales dans nos bagages. Pour le cas d’un déferrage importun. C’est, pour l’heure, la seule application de cette chaussure équine que j’aie pu expérimenter avec le succès mitigé d’un pis-aller.

Lorsque je parle, dans ma réponse à l’un des commentaires, de travail à pieds nus, je fais référence à l’activité de carrière (sur 15 centimètres de sable fin et non abrasif) de certains de mes chevaux disposant de pieds parfaitement sains.

Si je voulais être normatif, je dirais que, quelque soit le parage imposé à votre cheval, il doit garantir la bonne physiologie de la fourchette : c’est cela l’essentiel. Il ne doit, ni contrarier l’avalure normale, ni déranger la structure de la sole. Pour le reste, je ne demande qu’à me laisser convaincre ; mon cheval idem !

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.