MON OBSESSION DE L’ACCORD DES AIDES
Ce que j’aime chez mon cheval, par-dessus tout, c’est son goût de la précision ; mais, comme il ne peut réprimer sa mansuétude innée, il n’a pas l‘ombre d’une rancœur.
Tout ce que je lui demande avec correction, il me le donne par amitié, sans compter.
Avertis-moi de ce que tu veux faire, laisse-moi le temps de me préparer et tout ira bien. Nous seuls savons comment fonctionne notre couple ; ça ne regarde pas les autres ; eux ne voient que le résultat…
Calme et décontraction sont de rigueur au sein du ménage !
Je vais tourner à gauche. Un très bref serrement de doigts de ma main gauche, avant de rendre : mon cheval s’incurve du bout de devant. Ma jambe intérieure à la sangle, active son impulsion en agissant de concert avec son épaule extérieure. Depuis la ceinture, le haut de mon corps pivote insensiblement vers l’intérieur ; mon poids s’accentue légèrement de ce côté. Ma jambe extérieure recule un tantinet et se met en position de s’opposer à tout dérapage des hanches du cheval. Ma main extérieure se lève un brin en venant envelopper très légèrement son encolure et réguler l’arc de cercle que j’ai choisi de parcourir. J’ai la sensation que mon cheval pivote autour de ma jambe, naturellement. Les aides s’accordent dans la discrétion absolue.
Tourne avec moi ! Ne viens pas en avant avec tes épaules ! Ne contrarie en rien ma hanche extérieure, je vais avoir besoin de plus d’énergie de ce côté-là ! m’avait-il soufflé dès le départ de la volte. La moindre action à cheval relève d’une coopération des volontés : le couple marche dans le même sens, sans querelle stérile. Chacun y met du sien pour converger vers un objectif unique.
Le désordre dans l’exécution est le plus souvent imputable au cavalier, parfois à l’environnement, rarement au cheval.
Le défaut d’accord de ses aides est le plus fréquent des troubles que le cavalier peut introduire dans le comportement de sa monture. Il faut beaucoup de sérénité et beaucoup d’expérience pour ne pas y succomber : c’est une concentration de tous les instants, une précision à toute épreuve, une logique imperturbable qui, seules, peuvent éviter l’erreur qui vient surprendre et contrarier le cheval.
Ne me prends pas pour un demeuré ; je ne te raconte pas combien de fois je te sauve la mise en interprétant tes carences ; je te dois bien ça depuis le temps que tu m’enlèves le souci de la matérielle, ironise-t-il. Avant, je perdais mon temps à courir après l’herbe ; au lieu de cela, maintenant je m’amuse en ta compagnie ; ça vaut bien un effort de ma part, il faut être juste ! On y va ? Reprenons au niveau des transitions montantes, tu veux bien ?
Il vise bien car il sait que nous avons, lui et moi, un code très particulier de fluidité dans cet exercice à propos duquel on entend à peu près tout et le contraire.
Reste au fond de ta selle, bien devant. Laisse tomber tes jambes très naturellement jusqu’au contact de l’étrier. J’ai dit « contact » et pas plus… Ouvre légèrement les doigts et recule un petit peu tes deux jambes en appuyant doucement l’intérieur de tes mollets contre mes flancs tout en fermant l’angle de tes chevilles. Nous y voilà ; j’ai compris : on passe du pas au trot sans aucun heurt. Pigé ? Surtout n’avance pas tes épaules, on reste dans le même équilibre…On ne change rien que l’allure, ni l’amplitude, ni la cadence. Ça coule…
Mon cheval est un excellent pédagogue. Cette histoire de fermer l’angle des chevilles montre qu’il a tout compris : essayez donc et vous verrez comment les muscles de vos mollets durcissent pour demander à votre monture le surcroît d’impulsion dont elle a besoin pour passer du pas au trot.
Mais revenons au pas et préparons-nous à prendre le galop droit sans passer par le trot.
Centre ton assiette avec une légère prédominance à gauche pour libérer mon épaule droite ; desserre tes doigts surtout à droite ; prends un appui franc sur ton étrier droit pendant une fraction de seconde tout en sollicitant mes flancs avec tes deux mollets, plus le droit que le gauche. Je prends la bonne incurvation, je m’organise, je m’équilibre, et j’y vais sans hésitation. Choisis ta cadence avec ta main droite lors du troisième temps, sans saccade. Si tu nous promènes sur le cercle, tiens-moi un peu ma hanche gauche, ça me facilite les choses. Tu vois, ce n’est pas sorcier !
Pas sorcier, à condition de rester précis dans le déroulement des actions de mains et de jambes, de ne rien prendre sur l’impulsion naturelle du cheval et de ne pas entraver sa progression par une assiette défectueuse. En avant, l’assiette ; bien plantée au fond de la selle aux trois temps du galop. La qualité de la liaison est le premier critère du galop correct.
Ce n’est que dans un deuxième temps, lorsque je maîtrise bien tous les facteurs d’adhérence à mon cheval au galop, que je suis en mesure d’introduire des variantes.
Le galop en suspension du cavalier d’obstacles ne fait que déplacer la liaison au cheval de l’assiette aux jambes. Debout sur les talons, j’enlace ma monture avec l’intérieur de mes jambes en créant une surface de contact maximale entre le creux poplité et la cheville, telle que mon assiette évolue très près de la selle sans y plonger à aucun temps du galop.
Oui, mais tu ne vas pas sauter en suspension et me laisser dans le vide à la réception après un taxi que tu n’auras pas volé…
Non, bien sûr ! Je sais que tu aimes bien te retrouver en pleine possession de tes hanches pour assurer ta battue. Je reviens donc dans la selle quelques foulées avant l’obstacle pour me lier à toi, te dégager les épaules, solliciter ton arrière-main avant de la laisser nous projeter en hauteur, vers le planer.
Tu quittes la selle pour monter et tu y reviens tout de suite, bien au fond, avant la descente vers la réception ; tu me libères l’encolure juste ce qu’il faut pour que notre saut ne soit qu’une foulée de galop dans l’espace, sans aucune rupture de notre équilibre. C’est comme ça que j’aime que tu nous fasses sauter. Je suis tranquille. Je repars, comme si de rien n’était, jusqu’au prochain obstacle. Ça se passe dans la bonne humeur…et sans mal en bouche !
Le cheval saute en confiance, sans l’appréhension de la phase de réception. L’apprentissage de l’accord des aides au saut est probablement l’un des plus difficiles pour le cavalier. Ni précéder le cheval, ni se trouver en retard sur son mouvement : l’accompagner, tout simplement, en venant à son secours dans le moment le plus ardu, la battue. Si celle-ci est prise au bon endroit, dans un carré d’appel précis, le cheval peut s’arrondir sur l’obstacle ; dans les autres cas, son dos se creuse inutilement et cette attitude n’est pas sans douleur.
Tout comme au saut, le cheval ne peut correctement travailler sur le plat que si sa ligne du dessus a été intensivement préparée par une gymnastique rigoureuse et le fonctionnement des antagonismes musculaires exercé longuement au pas et au trot. Ainsi fait, le dos est en mesure de transmettre efficacement l’impulsion apportée par la détente des ressorts postérieurs.
C’est particulièrement vrai dans les exercices pratiqués de deux pistes et tout spécialement pour l’épaule en dedans. C’est encore plus vrai pour les airs relevés pour lesquels la main est appelée à prendre un peu sur le mouvement en avant et à réorienter une part d’impulsion vers le haut.
Je fais toujours précéder l’épaule en dedans, quelque soit l’allure, par quelques foulées d’ « épaule intérieure devant » (la ˝Schulter vor˝ des classiques allemands), merveilleuse figure que le cheval exécute sans aucune résistance et qui le rappelle à la rectitude en l’inscrivant entre trois points d’appui : main intérieure ouverte, jambe intérieure à la sangle et exerçant une pression moelleuse perpendiculairement au cheval, jambe extérieure d’opposition un peu en arrière de la sangle.
Conduis ta main intérieure à présent en direction de ma hanche extérieure, positionne-la un peu en arrière de mon garrot ; surtout ne tire pas, mais agis avec souplesse et intermittence, en pressant doucement la rêne au moment précis où je pose mon antérieur du dedans. Mon épaule va venir sur une piste intérieure, encouragée par ton assiette qui alterne discrètement de l’intérieur vers l’extérieur et vers l’avant. Tu y es… Alors descends tes mains et pousse ! Ta jambe intérieure est active chaque fois que je pose mon antérieur du dehors : je dois pouvoir m’y fier pour me ployer tout entier autour d’elle et pour progresser droit tout en chevalant de mes antérieurs. Pas de désordre, s’il te plaît ; ça me ferait perdre mes repères…
Il est peu important de ployer l’encolure outre mesure ; il lui suffit de suivre le mouvement de l’épaule vers la piste intérieure. L’essentiel se passe au niveau du postérieur interne : il doit plonger sous la masse, le plus en avant possible et cette action doit donner au cavalier, à chaque foulée, la sensation que la croupe s’affaisse du côté intérieur. Sans cette sensation, l’exécution de l’épaule en dedans n’est pas satisfaisante.
De l’épaule en dedans, la transition est aisée vers une croupe au mur. Il suffit, là encore de veiller scrupuleusement à l’accord des aides : sous forte impulsion, les épaules du cheval sont conduites devant les hanches par l’action des mains ; le cheval se déplace à présent dans le sens de la marche, chevalant des antérieurs et des postérieurs sous l’action énergique des jambes, l’intérieure passive à la sangle, l’extérieure active en arrière de la sangle. La main intérieure régule le bout du devant. La main extérieure incite au déplacement latéral de la masse. L’assiette accompagne discrètement le mouvement.
Ainsi, quelle que soit la figure exécutée, l’accord des aides est d’une importance capitale dans l’absence de tout désordre. Il est une condition sine qua non de l’adhésion du cheval aux objectifs du cavalier, dans le calme et la décontraction, c’est-à-dire dans l’équilibre du couple en action.
Si t’es calme, je suis calme ; fais bien ta part de boulot et je ferai de mon mieux pour faire le mien. On est lié pour le meilleur et pour le pire, mon pote, sauf le respect que je te dois ; pas de quoi faire de longues théories !
Il veut toujours avoir le dernier mot. Il y a longtemps que je me suis fait une raison. D’autant plus qu’il n’a jamais vraiment tort…
29 novembre 2007
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